II. La Gouvernance du Football Tunisien : Un Système à Refondre
Le football tunisien, autrefois un modèle de réussite, est aujourd’hui confronté à une crise profonde de gouvernance qui menace son avenir. Cette crise touche à la fois la FTF et les clubs, mettant en lumière un système dysfonctionnel et obsolète.
La Fédération Tunisienne de Football : Un besoin urgent de refonte
La FTF, censée être le garant du développement du football tunisien, se retrouve à la croisée des chemins. La mise sous tutelle de la FIFA, une décision sans précédent, témoigne de l’état préoccupant de l’institution. Le manque de transparence, la communication opaque et l’absence d’une vision stratégique claire nourrissent un sentiment d’opacité et de désenchantement. Les décisions prises par la FTF sont souvent perçues comme unilatérales et sans consultation réelle des acteurs du football tunisien.
L’absence d’une stratégie globale et d’une vision à long terme pour le développement du football national est criante. Les actions menées sont généralement ponctuelles et non coordonnées, limitant leur impact réel. De plus, la FTF souffre d’un manque de ressources humaines qualifiées et d’expertise dans des domaines clés comme la gestion, le marketing, le développement et la communication. Cette situation fragilise l’institution et met en péril l’avenir du football tunisien.
À cela, s’ajoutent des accusations de corruption et de favoritisme qui ternissent l’image du football tunisien. La gestion financière de la FTF est opaque et manque de transparence. L’excédent budgétaire présenté comme positif est en réalité un symbole de manque d’investissement dans le football tunisien. Cet argent dormant devrait stratégiquement servir à financer le football amateur en particulier et aider le football professionnel qui vit des crises sans cesse depuis des années. La mise sous perfusion des clubs par les dirigeants de la FTF pour garantir une future réélection est totalement néfaste à la bonne marche d’un football professionnel sain.
Comme partout ailleurs, la FTF est censée gérer le football amateur et les sélections nationales. Or, elle est restée le décisionnaire népotique et despotique du football professionnel que devait gérer la LNFP. Personne ne connaît le président de la LNPF, qui devrait être le patron du football professionnel et qui doit mener la LP1 au sommet du continent. Personne ne veut revivre l’épisode de la Chebba où l’égo du président de la FTF a primé sur l’intérêt du football tunisien. Les décisions doivent être prises dans l’intérêt du football et des parties prenantes, en favorisant l’équité et la croissance du sport.
Enfin, la FTF, qui est garante de la performance et de l’efficience du football tunisien, n’a jamais entrepris de mettre en place une direction nationale de contrôle de gestion pour que les clubs soient supervisés sur le plan juridique et financier. Cette absence de contrôle a contribué aux dérives qu’a vécues notre football ces dernières années et qui ont touché tous les clubs professionnels sans exception.
Les clubs : Un modèle économique obsolète et une gestion chaotique
Du côté des clubs, la situation n’est guère meilleure. Ils sont souvent gérés de manière informelle, avec des structures de gouvernance faibles et un manque de transparence dans la gestion des finances. Ils sont trop dépendants des subventions, ce qui les rend vulnérables aux fluctuations politiques et à la pression pour obtenir des résultats immédiats. Ils manquent de professionnels qualifiés dans les domaines de la gestion, du marketing, des finances et du développement sportif et manquent surtout d’une vision stratégique pour le développement de leur infrastructure, de leurs équipes et de leur image de marque.
La réalité est que le régime professionnel est boiteux par essence dans la mesure où l’état tunisien maintient le statut associatif des clubs, ce qui est un frein majeur dans la professionnalisation effective de ces derniers. Dans le monde du football professionnel, les clubs sont détenus par des acteurs privés ou publics qui garantissent une responsabilité forte des propriétaires. Cet engagement minimise le risque d’utiliser le club comme un tremplin pour des objectifs plus vastes qu’ils soient politiques ou économiques, mais surtout toutes les crises et les instabilités qui découlent de ce statut.
Malheureusement, les clubs tunisiens sont dépassés par les événements. Ils ne respectent pas leurs engagements contractuels, ce qui amène à des sanctions internationales et à des interdictions de recrutement. Ils ne payent pas forcément leur joueur, ce qui amène à des grèves ou des bras de fer entre joueurs et clubs qui fuient vers des championnats moins compétitifs, mais plus sûrs, en témoigne l’exode des joueurs au Golfe ou même en Libye.
En réalité, la structuration même des clubs, censés être professionnels, est à déplorer. Le manque de compétence managériale dans les strates dirigeantes et l’absence de stratégie à moyen terme limitent l’évolution des clubs et leur constance dans le temps. L’instabilité au niveau de la présidence, en dehors de l’Espérance de Tunis, chamboule chaque année ou tous les deux ans la vie au sein des clubs.
Que dire de l’Assemblée Générale où les rapports financiers sont maigres et parfois absents, les candidatures sont inexistantes et les votants payent leur abonnement la veille de l’AG ce qui laisse toute la latitude à des manœuvres délictuelles.
Enfin, la non-adéquation des moyens mis en œuvre et des moyens nécessaires dénote de l’absence de créativité et de compétence de gestion des dirigeants qui trop souvent laissent une grosse ardoise que les supporters ou les successeurs doivent résorber. Les clubs portent, en réalité, une responsabilité conjointe avec la fédération dans la non-adaptation du football tunisien à la hausse du marché du football international qui rend nos clubs vulnérables et dans une situation précaire.
Des solutions urgentes pour refondre la gouvernance du football tunisien
Pour relancer le football tunisien, il est impératif de s’attaquer à la crise de gouvernance qui le tire vers le bas. Il est nécessaire de mettre en place des réformes profondes et radicales pour garantir un développement durable du football tunisien.
1. Pour la FTF :
- Réformer les statuts pour des élections ouvertes, libres et transparentes sans critères trop restrictifs et changeants pour bloquer certaines candidatures à la présidence de l’instance faitière.
- Limiter le mandat des dirigeants à un seul exercice de cinq ans.
- Mettre en place un processus de sélection transparent et basé sur le mérite avec des critères stricts de compétence et d’intégrité pour les postes de décision.
- Mettre en place un code de bonne conduite strict pour lutter contre la corruption et le favoritisme.
- Nommer un directeur administratif et financier indépendant et compétent.
- Publier régulièrement les comptes de la FTF et mettre en place un audit indépendant.
- Renforcer les mécanismes de responsabilité et de reddition de comptes au sein de toutes les instances dirigeantes et en particulier les ligues.
- Élaborer un plan de développement ambitieux sur 10 ans pour le football tunisien, avec des objectifs clairs et mesurables.
- Créer des commissions techniques par secteur (formation, arbitrage, infrastructures, financement et juridique).
- Mettre en place une direction nationale de contrôle de gestion qui a autorité de rétrograder les clubs ou de refuser leur promotion en cas de manquement grave.
- Créer un conseil consultatif composé d’experts du football, d’anciens joueurs, de représentants des clubs et des supporters pour conseiller la FTF sur les décisions stratégiques.
- Limiter les prérogatives de la FTF au football amateur et aux sélections nationales en renforçant le pouvoir de la LNFP sur les championnats professionnels.
2. Pour les clubs :
- Réformer le statut des clubs et les ouvrir à un professionnalisme total avec un plan de bascule progressif de l’ancien régime d’association à but non lucratif vers le nouveau régime de société anonyme sportive professionnelle.
- Définir un protocole de subvention avec le ministère des Sports et le ministère de l’Intérieur dont dépendent les délégations pour que les fonds soient transférés aux clubs, amateurs ou encore sous statut associatif, à la date et au montant signé dans le protocole.
- Mettre en place une direction nationale de contrôle de gestion qui agit avant les sanctions de la FIFA et garantit la bonne gestion juridique et financière des clubs où le rapport financier est obligatoire et concis à chaque AG.
- Nommer une commission de litige élargie et gratuite au sein de la fédération avec une prérogative de donner un jugement dans les 60 jours qui suivent la demande initiale.
- Réformer les statuts des clubs, encore sous statut associatif, pour que le droit de vote soit octroyé aux votants dont l’abonnement a été validé au maximum au 31 décembre de la saison en cours.
- Mettre en place et former des professionnels qualifiés dans les domaines de la gestion, du marketing, des finances et du développement sportif. Cette formation doit être dispensée à toutes les personnes qui doivent occuper un poste de décisionnaire dans les clubs professionnels et amateurs. Elle devra être prise en charge par la FTF pour les clubs amateurs.
Conclusion :
La refonte de la gouvernance du football tunisien est une nécessité absolue pour assurer la survie et le développement de ce sport. Il est temps de passer à l’action et de mettre en place les réformes nécessaires pour garantir un avenir plus radieux au football tunisien.