Nommé nouvel entraineur de Levante, Mehdi Nafti a signé un contrat d’un an avec une option de deux ans complémentaires en cas de montée en Liga. C’est l’occasion pour nous de faire un petit bilan et de connaitre les objectifs du meilleur technicien tunisien à l’étranger.
TF : Tout d’abord félicitations pour ce nouveau poste avec un divisionnaire de Liga. C’est la première fois que tu prends un club pro dès le début de saison. Est-ce plus facile ?
MN : J’avais déjà démarré en début de saison par exemple à Badajoz mais c’est vrai qu’en professionnel, c’est la première fois. Je ne sais pas si c’est plus facile mais ça laisse plus de tranquillité pour travailler. Avec le directeur sportif, nous allons essayer de faire un groupe et un effectif avec une identité proche de la mienne. Ça aide de bâtir un groupe depuis le début. C’est aussi enrichissant parce qu’il y a un marché de joueurs à découvrir que ça soit sur le plan national ou à l’étranger et quand on est main dans la main avec la direction sportive c’est beaucoup plus facile. J’aurais toutefois un aspect psychologique que je n’ai pas eu à gérer en arrivant en cours de saison à Lugo ou à Léganes. Il me faudra gérer la descente en D2 de Levante avec certains joueurs qui ne voudront pas jouer en Liga 2. Il faudra qu’on équilibre les comptes et qu’on vende des joueurs autour de 10 à 15 millions d’euros. Il faudra aussi traiter avec l’égo de certains joueurs qui dès la préparation physique ne voudront peut-être pas rester en D2.
TF : C’est un témoignage de confiance fort de la part de Levante. Quels vont être tes objectifs ?
MN : C’est un témoignage énorme de la part du club. Il est énorme parce que quand on termine la saison avec Al Meria, je me réunis avec Levante mais je sais qu’il y a 6 ou 7 coachs avec certains entraineurs de première division. Donc quand le directeur sportif fait appel à moi, c’est une marque de confiance énorme. On ne s’y attendait pas après avoir entrainé Lugo et Léganes mais le directeur sportif me connaissait sur le bout des doigts. J’ai dû lui inspirer confiance. Il avait vu beaucoup de matchs de Léganes cette saison et il voulait repartir avec un coach qui « avait beaucoup d’ambition et qui transmettait beaucoup au groupe » selon ses mots à lui. Les objectifs sont bien évidemment la montée.
TF : Est-ce que les déclarations publiques du propriétaire d’Al Meria, le Prince Turki Al Alshikh, qui t’encensent ont joué en ta faveur ?
MN : Je ne pense pas que ça a joué en ma faveur parce que c’était déjà bien avancé avec Levante au moment où il tweeté. Mais c’est vrai que ça fait toujours plaisir, surtout qu’à la dernière journée du championnat où il monte, il m’a pris dans ses bras et m’a félicité pour le travail que je faisais. Il me disait que dans les années à venir j’allais parler de moi. Venant d’un boss comme lui qui venait de monter en première division avec un club comme Al Meria, ce n’est pas n’importe qui. Oui, ça fait toujours plaisir quand on parle bien de toi.
TF : Ce n’était pas la première fois, Manu Saiz d’AS t’avais comparé à Mourinho de la Segunda B quand tu étais à Badajoz. Ça doit faire plaisir ces reconnaissances ?
MN : C’est un peu dans la lignée de ce qu’avait dit le Prince. Quand on parle bien de toi, ça veut dire que les gens mettent en valeur ton travail surtout pour un étranger. Un étranger en Espagne, ou en France, j’imagine que c’est la même chose, ça fait vraiment plaisir parce qu’on bosse, on est là, on ne lâche rien. Et dans la plupart des cas, ça serait plus facile de faire signer un entraineur espagnol. Les clubs qui me recrutent ont beaucoup de mérite et mettent vraiment en valeur le travail qu’on fait.
TF : En Liga 2, tu es probablement le technicien tunisien et arabe qui a le plus haut niveau de coaching. Quel sentiment en tires-tu ?
MN : Mon proverbe favori est pour vivre heureux, vivons cachés. Je laisse les autres juger mon travail. Moi je fais ma route, je fais mon boulot et j’essaye de toujours tirer vers le haut. J’ai le sentiment que depuis le début de ma carrière je grimpe d’un étage chaque saison. Que je n’ai pas encore atteins mon maximum et je vise d’aller au Top.
TF : Tu as été le pompier de Lugo puis de Léganes très mal partis en début de saison. A chaque fois tu as fait un départ tonitruant. Comment expliques-tu cette capacité à embarquer immédiatement des joueurs en échec de résultats ?
MN : C’est vrai que j’ai eu cette réputation de pompier en Espagne. C’est parce que j’arrive à gérer les groupes facilement. La gestion de groupe, le leadership ne me posent aucun souci. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les joueurs, notamment ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas. J’arrive à gérer 25 à 30 mecs dans un vestiaire avec un certain naturel. Je pense que c’est ce qui fait ma force surtout quand j’arrive dans des effectifs comme Lugo ou Léganes qui étaient en pleine dépression. J’arrive à tirer le maximum des joueurs en très peu de temps. Le plus compliqué est de maintenir durant toute la saison.
TF : L’aventure s’est terminée avec Lugo sans perdre aucun match à domicile et avec des supporters qui n’ont pas compris ce choix quand on voit la qualité de jeu déployé même si vers la fin les résultats n’ont pas suivi. Tu les laisses quand même 14e avec 6 points d’avance de la relégation, zone où tu les as pris. Finalement ils finissent 18e à un point de la relégation. A postériori, aurais-tu fait mieux si tu avais continué ?
MN : Quand on regarde bien, dans tous les clubs où j’ai été en commençant par Marbella, j’ai toujours rempli les objectifs. Après, les dirigeants peuvent prendre d’autres décisions. Vous connaissez mon caractère, je ne me laisse pas marcher sur les pieds facilement. Quand on regarde de plus près, tous les coachs qui sont passés après moi ont eu du mal ou n’ont pas réussi derrière moi. Comme j’arrive à créer un impact rapidement et que je crée facilement un lien avec les joueurs, ils souffrent et ont du mal à passer après quand je m’en vais. Ce n’est pas facile pour eux.
TF : Le changement à la tête du club a semble-t-il mélanger les cartes. Qu’est ce qui t’a donné envie de partir ?
MN : Les patrons du club voulaient me prolonger il y a deux ou trois mois mais les nouveaux propriétaires, les américains, ont demandé de freiner ma prolongation. Ils voulaient attendre et me juger sur les derniers matchs. Pour moi ça a été une rupture ce moment. J’avais le sentiment d’avoir fait le job et qu’on voulait me juger encore sur les derniers matchs. J’avais déjà noté un manque de feeling et un manque de confiance, c’était donc mieux pour eux les nouveaux dirigeants et moi de se quitter à l’amiable.
TF : Les médias tunisiens ne valorisent suffisamment pas ton travail. Si tu étais égyptien ou algérien ou tout autre on imagine des médias derrière toi chaque semaine. Qu’en penses-tu ?
MN : Vous me connaissez plus que les autres et vous savez donc que je n’y attache pas beaucoup d’importance. Après, je ne pense pas que ça soit de leur faute, je ne pense pas que ça soit intentionnel. Je pense que c’est simplement un manque de connaissance. Le football est devenu une sorte de série Netflix. Plus on fait de cinéma sur les réseaux sociaux et plus on valorise, mais ce n’est pas du tout mon approche. J’estime que je dois faire mon travail et aux autres de le juger. Ce n’est pas une priorité pour moi. Si les médias tunisiens ou même égyptiens parlent de moi, ça doit faire du bien au football arabe de façon générale.
TF : Un dernier mot pour nos TFistes ?
MN : C’est gentil de suivre mon parcours, je sais que vous ne lâchez pas et que vous me suivez depuis longtemps. Ça me fait toujours plaisir, je vous ai vu depuis le début, vous suivez ma carrière avec le forum et le reste. J’ai toujours suivi votre taf avec certes de la distance et je sais que votre job est de maintenir les gens informés, que vous n’avez pas de filtre et c’est bien. Il faut continuer. Il faut continuer de parler des tunisiens à l’étranger que ça soit les coachs ou les joueurs et même dire du bien ou pas du football tunisien. C’est bien pour tout le monde surtout avant la Coupe du Monde au Qatar où on aura besoin de nos plus fidèles supporters et amoureux du ballon.